L’itinéraire d’exception de cet artiste a valu l’attention de la DRAC en 2000, dans une perspective singulière. Car s’il ne se consacre au travail de la peinture en atelier que depuis cinq ou six ans, à quarante ans passé, c’est surtout pour continuer à nourrir son imaginaire de lieux symboliques et de rencontres par le voyage qu’il a reçu ce soutien. Il s’agissait en effet de rejoindre plusieurs étapes (New York, Jérusalem, La Haye) de voyage initiatique mais non initial. Artiste, il l’est surtout par son désir et son engagement dans la peinture, explorateur avide, réinventant la modernité et ses questions pour mieux toucher à la nécessité actuelle.
Pour être venu sur le tard à la peinture, tout en ayant rêvé de s’y vouer depuis l’adolescence, Jacques Morhaïm s’en montre d’autant pressé. Le fruit de ces quelques années de travail consiste dans un trajet de déconstruction—vérification de grands enjeux de l’histoire moderne de la peinture, qu’il s’agit pour lui non de pasticher, mais bien d’éprouver dans une confrontation formatrice. Si bien que dépassant largement l’exercice de gamme, il ressort de son parcours concentré dans l’espace d’un atelier — conçu et construit par Jacques Morhaïm lui-même comme une machine à peindre — un effet de densité et de nécessité remarquable. Dans un parti de réduction des moyens qui répond à une contrainte pratique autant qu’à des leçons de l’histoire (par la modestie des formats de châssis, par la réduction de la gamme de couleur, par le choix d’un vocabulaire de base de l’abstraction moderniste comme en particulier le travail sur la grille, par l’écriture qui cherche à combiner la froideur distanciée et architectonique de l’héritage constructiviste tout en demeurant sensible, laissant sa part à l’incertitude la main libre), Morhaïm produit une peinture peu tapageuse, dense et convaincante. Convaincante tout à la fois pour un regardeur informé de la peinture, puisque l’on y retrouve des enjeux repérés, que l’on y rencontre des solutions plastiques bien formulées. Mais convaincante aussi pour une lecture de découverte de la peinture, tant est volontiers ressentie comme partagée la dimension initiatique et maïeutique de ces tableaux. D’autant que produits par groupes, par cycles, ils sont portés par le mur de l’atelier comme un chantier en cours (devenu une pièce en soi, Laboratoire 2003 / 2004, ensemble de 126 petits tableaux qui en forment un grand de 376 par 142 cm) où chaque châssis est le fait d’une expérience et où l’ensemble produit une forme de grammaire expérimentale de travail en cours. Jacques Morhaïm déploie dans la planéité du tableau toutes sortes de natures de surface —tramage, tressage, grain, équilibre, rythmes, etc. Dans les travaux de 2004, les écritures se conjuguent avec plus de liberté encore dans ce mur de petits formats qui constituent un répertoire à lui seul. De la tache au monochrome, du signe à la matière, de la planche anatomique à la cartographie abstraite, les écritures se croisent et s’échangent. Mais ce qui demeure le plus frappant, et tout à fait sensible dans le déploiement des ensembles, c’est que ce travail est toujours porté par un appétit, celui de la peinture, on l’a dit, mais surtout, celui de rapprocher le tableau du monde. Où l’on retrouve le voyageur dans l’artiste : qu’il s’agisse de visions sensibles voire affectives ou plus littéralement d’images photographiques, Jacques Morhaïm ne se nourrit pas exclusivement de peinture, mais cherche au contraire à impliquer mutuellement expérience du monde et expérience de la peinture. De manière à ce qu’ils se montrent l’un et l’autre habitables et habités.